Antevre: fan fics et histoires courtes

Démarré par Antevre, 14 Janvier 2012 à 18:42

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14 Janvier 2012 à 18:42 Dernière édition: 23 Octobre 2015 à 14:12 par Antevre
Voilà, j'y pense déjà depuis un moment (et ça va aussi me servir pour essayer de me faire pardonner ma non-participation au concours de Noël :ninja:), la voici, ma "galerie" de fan fics et d'histoires courtes. Concrètement, il s'agit de réunir des fictions courtes que j'ai écrites dans un seul topic, pour qu'elles soient visibles de tous et pour pas faire un nouveau topic à chaque fois^^ donc j'ai décidé que toutes les semaines, je posterai une histoire ou une fan fic, d'abord de ce que j'ai encore archivé, puis éventuellement de nouvelles créations (du moins quand j'aurai fini mon histoire du concours de Noël :ninja: et quand j'aurai repris la fan fic que j'ai commencé il y a peu, qui a elle aussi été victime de ma malchance bon, celle-là un peu de ma flemme aussi j'avoue... :P). Voilà voilà :)




Cette semaine, je vais profiter que c'est encore l'hiver et que Noël c'était il y a pas longtemps pour vous présenter une histoire qui s'enracine dans cette période... C'est un délire que j'ai écrit il y a deux ans il me semble, c'est un peu morbide mais je trouvais ça comique, et je me rends compte que d'un point de vue stylistique elle est pas trop mauvaise^^ Elle s'intitule sobrement:

A Merry Christmas
[spoiler]Noël... Fête de la famille, de la paix, de l'amour... Promenez-vous dans la rue, allez au marché de Noël, et buvez un vin chaud. Regardez les gens s'activer sous une fine neige, les bras emplis de paquets. N'est-ce pas enchanteur ? Les enfants patinent sur la patinoire dressée au milieu de la place, en-dessous de l'immense sapin, alors qu'autour d'eux la foule croît sans cesse. Une calèche fait le tour du centre-ville, tandis que son conducteur raconte aux passagers le passé historique de la cité. Une crèche grandeur nature donne aux badauds un aperçu de la nativité, et des stands de toute sorte ont fleuri, vendant là des décorations de Noël, là des bougies, là des pièces d'artisanat, là de l'alcool fort...

Un Père Noël se dirige vers vous. Arrivé à votre hauteur, il vous gratifie d'un « Joyeux Noël », qui peine à se frayer un chemin parmi les poils de la fausse barbe collée par la sueur sur son visage de bambin. Il continue sa route, dirigeant son ventre imposant, qui lui est authentique, parmi les badauds, passe devant la patinoire et va s'écrouler sur un banc. Un petit garçon, timide, s'approche de lui avec ses parents dans l'espoir de pouvoir lui parler. Il secoue son épaule, et le buste du vieil homme se renverse sur le banc, inerte. Le cri du petit malheureux résonne sur toute la place. Surpris, un enfant perd l'équilibre sur la patinoire, tandis qu'un autre, distrait lui aussi, lui passe sur la gorge, éclaboussant la piste du sang juvénile. Plus loin, un des chevaux de la calèche se cabre, arrache son harnachement et charge à travers tout, rendu fou par les cris successifs des témoins. Il envoie valser le stand d'alcool sur celui de bougies de Noël, qui s'embrasent tous deux ainsi que leurs tenanciers et quelques clients potentiels. Arrivé sur la route, le cheval manque d'entrer en collision avec une voiture qui fait un écart, fauchant deux petites filles et leurs parents et renversant l'immense sapin de Noël, qui tombe dans la fournaise. Les survivants se tapent dessus pour échapper à l'horreur et les enfants, trop faibles pour se mesurer à des adultes, sont piétinés et condamnés à mourir au milieu des flammes.

Quelques mètres plus loin, vous contemplez le chaos. Vous allez chercher votre voiture et rentrez chez vous. En ouvrant la porte, vous apercevez la corde qui pend du pallier du premier étage. Il ne vous faut que quelques instants pour vous mettre le nœud coulant et sauter dans le vide. « Une chance », qu'il disait, « Donne au monde encore une chance, et va contempler la beauté du marché de Noël. Si après ça tu n 'as pas changé d'avis, je n'interviendrai pas. »

We wish you a merry Christmas...
[/spoiler]

... En fait j'aurais dû la poster pour participer au concours, comme solution de secours, mais on me dit dans l'oreillette que je suis pas capable de lire un calendrier correctement et que le concours est déjà terminé donc.... tant pis




Histoires courtes et nouvelles

A Merry Christmas
[spoiler]Noël... Fête de la famille, de la paix, de l'amour... Promenez-vous dans la rue, allez au marché de Noël, et buvez un vin chaud. Regardez les gens s'activer sous une fine neige, les bras emplis de paquets. N'est-ce pas enchanteur ? Les enfants patinent sur la patinoire dressée au milieu de la place, en-dessous de l'immense sapin, alors qu'autour d'eux la foule croît sans cesse. Une calèche fait le tour du centre-ville, tandis que son conducteur raconte aux passagers le passé historique de la cité. Une crèche grandeur nature donne aux badauds un aperçu de la nativité, et des stands de toute sorte ont fleuri, vendant là des décorations de Noël, là des bougies, là des pièces d'artisanat, là de l'alcool fort...

Un Père Noël se dirige vers vous. Arrivé à votre hauteur, il vous gratifie d'un « Joyeux Noël », qui peine à se frayer un chemin parmi les poils de la fausse barbe collée par la sueur sur son visage de bambin. Il continue sa route, dirigeant son ventre imposant, qui lui est authentique, parmi les badauds, passe devant la patinoire et va s'écrouler sur un banc. Un petit garçon, timide, s'approche de lui avec ses parents dans l'espoir de pouvoir lui parler. Il secoue son épaule, et le buste du vieil homme se renverse sur le banc, inerte. Le cri du petit malheureux résonne sur toute la place. Surpris, un enfant perd l'équilibre sur la patinoire, tandis qu'un autre, distrait lui aussi, lui passe sur la gorge, éclaboussant la piste du sang juvénile. Plus loin, un des chevaux de la calèche se cabre, arrache son harnachement et charge à travers tout, rendu fou par les cris successifs des témoins. Il envoie valser le stand d'alcool sur celui de bougies de Noël, qui s'embrasent tous deux ainsi que leurs tenanciers et quelques clients potentiels. Arrivé sur la route, le cheval manque d'entrer en collision avec une voiture qui fait un écart, fauchant deux petites filles et leurs parents et renversant l'immense sapin de Noël, qui tombe dans la fournaise. Les survivants se tapent dessus pour échapper à l'horreur et les enfants, trop faibles pour se mesurer à des adultes, sont piétinés et condamnés à mourir au milieu des flammes.

Quelques mètres plus loin, vous contemplez le chaos. Vous allez chercher votre voiture et rentrez chez vous. En ouvrant la porte, vous apercevez la corde qui pend du pallier du premier étage. Il ne vous faut que quelques instants pour vous mettre le nœud coulant et sauter dans le vide. « Une chance », qu'il disait, « Donne au monde encore une chance, et va contempler la beauté du marché de Noël. Si après ça tu n 'as pas changé d'avis, je n'interviendrai pas. »

We wish you a merry Christmas...
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Minuit pile
[spoiler]31 décembre. Je suis dans mon canapé. Dehors, il neige terriblement. Sûrement, personne ne viendra. Mais c'est pas grave. J'ai demandé à personne de venir. Je demande jamais à personne de venir.

Je sirote mon whisky, tranquille. Un océan de tranquillité dans un monde de vitesse et de fureur. Mon smartphone est sur la table, éteint. Mon téléphone fixe est débranché, et mon PC remisé dans un tiroir. Sûrement, des gens allaient appeler. Ou envoyer des messages sur Facebook. J'ai des responsabilités. Mais c'est pas important.

Je connais des gens qui passent le Nouvel An en famille. Ils allument des feux d'artifice dans leur jardin, et les gosses jouent avec des pétards. D'autres sortent, vont en soirée, se défoncent et font la fiesta toute la nuit. Je connais même des types qui ne font rien de spécial au Nouvel An, ils font comme si c'était un jour normal, comme si la plupart des personnes qui vivent dans le même fuseau horaire qu'eux n'attendaient pas exactement le même moment par compte à rebours interposé. Moi, je fais pas comme ça.

A chaque soirée du Nouvel An, je débranche mes appareils, je me coupe du monde et je bois un verre de la même bouteille de whisky dans le même canapé. Je mets la même cassette de Derrick et je regarde le même épisode. Et je vis cet instant éternel, dans une bulle que personne ne peut percer. Je revois les mêmes images dans ma tête et je sens les mêmes choses que ce jour-là. Sous mes doigts, se reforme la même silhouette, je caresse sa peau douce, je respire son parfum, et je perçois la chaleur de son corps contre moi. Je remonte, touche ses cheveux et les renifle. Comme avant. En ouvrant les yeux, je suis sûr que je pourrais presque la voir. Mais je n'ouvre pas les yeux. Pas tout de suite. Je prends le temps de la serrer contre moi, d'embrasser son épaule, de m'imprégner tout entier de sa présence. Et je pleure. Je peux pleurer pendant des heures.

Puis j'ouvre les yeux.

Ca fait dix ans, aujourd'hui. Me rappeler ces jours bénis me fait de plus en plus de mal à chaque fois. Chaque année, à minuit pile, nos verres s'entrechoquent, et nous buvons. Je referme les yeux et je me focalise entièrement sur le goût de l'alcool qui, pendant un centième de seconde qui semble durer toute la vie, fait perdre à mon palais la faculté de goûter. Je savoure cette façon qu'a l'alcool fort de se diffuser sur ma luette, puis sur les parois de mon œsophage. Enfin, le grondement sourd lorsqu'il emplit mon estomac, pareil à cette pulsation de vie que l'on recherche tous, et que l'on trouve de différentes façons.

Et le temps reprend son cours. Je vis ma vie. Je rencontre des gens, je me fais des amis, je m'investis à 100% dans tout ce que je fais. Je célèbre la vie, et on m'aime pour ça. Personne ne sait pourquoi je suis injoignable le 31 décembre. Mais tout le monde a ses manies non ? Apparemment c'est la mienne.

Cette année-ci est différente. Dix ans, ça se fête. Plus que jamais, j'ai besoin d'elle. Besoin de la sentir contre mon corps, d'entendre sa voix, de faire corps avec elle. Derrick interroge le même suspect qu'il y a dix ans avec toujours autant de sérieux. Comme si il était vivant. Comme si elle était vivante. Je n'en peux plus. Je ferme les yeux.
Elle est là. Je la vois. Comme avant. Je passe mes doigts sur le tracé de ses lèvres. Je prends sa tête entre mes mains, mon front contre le sien. Par mon regard droit dans le sien, j'essaie de lui faire passer tout ce que je n'ai su faire passer autrement. Nos doigts entrelacés, je pleure. Je pleure comme je n'ai jamais pleuré. Je la regarde dans les yeux. Elle me sourit. Et je retourne à la réalité.

Moi, je suis pantelant, à terre. Elle, elle n'est plus là. A sa place, un immense trou. Un abîme.

Dix ans, ça se fête. Dix ans, c'est beaucoup. Dix ans. C'est trop.

Cette année-ci est différente. A côté de la bouteille de whisky, une autre bouteille, plus petite, sans étiquette. Une potion magique. Une potion qui nous réunira à jamais. Et tout sera si splendide.

Je me ressers un verre. J'y ajoute la potion. Je secoue légèrement le verre, et bientôt les deux liquides n'en font qu'un, à peine plus clair que le whisky. C'est sans douleur. Je l'ai vu sur internet. Et puis, même si il y avait de la douleur, qu'importe, je la rejoins, ici et maintenant. Rien n'est plus important.

Tout est écrit.

Je porterai le verre à mes lèvres. Quelques secondes après minuit, après avoir entrechoqués nos verres, je viderai le mien d'une traite. Elle aime bien ma façon de vider un verre. Elle l'a toujours aimée. Puis je vais m'allonger dans le canapé, comme nous étions à cette époque. Le creux est toujours là. Je vais fermer les yeux, m'enivrer d'elle, et elle m'emmènera dans son monde. Et tout sera bien.

Tout ça je le ferai. Je ne dois pas faillir. Ne pas penser à mes amis, à cette gentille fille qu'un copain m'a présentée l'autre jour. A tous les instants de bonheur qui ont parsemé ma vie et qui la parsèmeraient encore si je le voulais.

Non.

Sans elle je suis seul.

Sans elle je suis mort.

Minuit pile.

Nos verres s'entrechoquent.

Je vide le mien.

Je m'allonge.

Tout est fini.






La lumière... Je la vois. Elle existe donc vraiment. Je vais la rejoindre, maintenant, tout va bien. Tout est blanc. Je suis entouré de beaucoup de personnes. Sans doute vont-elles dans la même direction que moi. Mais elles n'en ont pas l'air. Je suis toujours couché, dans la même position qu'avant. Maintenant, elle est là. Je tends la main vers elle. Je ressens une gêne, mais ce n'est pas grave. Elle se tourne vers moi et me sourit.

« Tu as une drôle de façon de fêter le Nouvel An. Mais maintenant c'est fini »

Oui... Tout est fini.

« Quentin ! Il est réveillé ! »

Hein ?

« Ah, enfin ! Comment va-t-il ?

-Pas trop mal, on dirait. Mais je suis pas experte en la matière.

-Tu sais que tu nous as fait vachement peur ? Abruti ! Qu'est-ce qui t'a pris ?

-Que... Que se passe-t-il ? Pourquoi j'ai un baxter dans le bras ?

-Tu t'es raté, couillon ! Voilà ce qui s'est passé ! On est tous venus chez toi. On voyait bien chaque année que tu étais
de plus en plus déprimé à la même date. Alors on a voulu faire la fête avec toi. On t'a trouvé à moitié mort dans ton vieux canapé. Les médecins ont dit que tu allais bien, qu'on était arrivé à temps, tu venais juste d'avaler le poison. Après un bon lavement d'estomac, ils ont dit que tu étais hors de danger. T'es vraiment con ou quoi ? En plus maintenant tu vas devoir te taper le psy, les antidépresseurs et tout le bordel.

-Moi aussi je t'aime...

-Oh, ta gueule, j'ai vraiment pas envie de rire. Est-ce que tu sais tout ce que... »

Mais je l'écoute plus. Je la regarde. Je ressens ce que je n'ai plus ressenti depuis 10 ans. Elle me regarde aussi. Et je vois qu'on se comprend.

Tout n'est pas fini... En fait, tout ne fait que commencer.
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Click to live
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Click to live

D'aussi loin que je me souvienne, je ne me suis jamais posé de question sur mon avenir.

Ma vie ne mérite pas d'être racontée. J'ai grandi dans une famille normale, suivi des études normales, trouvé un emploi normal. Un homme comme les autres.

Au quotidien, je suis quelqu'un de plutôt réservé. J'obéis au chef, je reste à ma place, je n'invite pas les filles qui me plaisent à boire un verre en soirée. Et Nadine finit son stage, et Chantal trouve un copain. Moi, incapable de prendre ma vie en main, j'ose le dire, je suis seul. Une feuille d'arbre qui vole au vent, et finira un jour par toucher le sol et sombrer dans l'oubli. J'aurai montré quelques jolies pirouettes, bon gré mal gré, mais au final, je n'aurai juste été qu'un jouet pour les éléments, une marionnette parmi d'autres en des mains espiègles.

Mais moi aussi je veux jouer.

Moi aussi je veux contrôler.

Et sitôt rentré chez moi, je le peux.

Il y a ce jeu, Click to Live. Grisant. Simple mais riche : le joueur contrôle un personnage, dont il gère la vie. Les divers besoins. Le monde professionnel. Les loisirs. La vie affective. Pour peu que le joueur veuille bien relever le défi, tout est à portée de main.

Je ne sais plus quand. Je ne sais plus pourquoi. J'avais besoin d'une bouée, et elle s'est matérialisée, si l'on peut dire, miraculeusement, sous la forme d'un lien sur internet. Et l'engrenage était lancé. Je suis devenu un joueur.

La première fois, j'étais Michel, petit employé lambda d'une grande firme multinationale. Je suppose que tout le monde commence par copier la réalité, avant de s'enhardir et d'essayer les nombreuses possibilités offertes. La grande force de ce jeu, à l'opposé des concurrents dans sa catégorie, est de proposer un monde persistant, qui évolue avec ou sans la présence des joueurs. Un moteur de recherche permet de naviguer entre les habitants de cet univers et de sélectionner celui dont on veut prendre le contrôle. Quand je suis tombé sur Michel, fasciné par les similitudes qu'il entretenait avec moi, je n'ai pu m'empêcher de le choisir. Peut-être arriverais-je à donner à sa vie un tournant inattendu, me suis-je dit.
Ce fut un désastre. Voulant explorer toutes les possibilités, j'ai versé dans les excès. Déconcerté par l'incroyable facilité d'agir au nom d'un autre, j'ai entretenu trois liaisons à la fois, mené une carrière agressive, et tout s'est terminé dans le fracas quand l'une des amantes de Michel, collègue de bureau, a décidé de mettre fin à leur relation en défenestrant le malheureux, trop imbibé d'alcool pour réaliser ce qui lui arrivait.

Furieux, j'ai pris la place de Vanessa, ladite meurtrière, dans l'idée de lui pourrir la vie. J'ai tout juste eu le temps de me familiariser avec les différentes facettes de sa vie qu'elle s'ouvrait les veines. Je suppose qu'elle avait très mal vécu sa relation avec Michel, et que découvrir la vraie personnalité de l'homme qu'elle a aimé l'a réellement bouleversée.
Je l'avoue, ces événements m'ont affecté plus que je ne l'aurais pensé. Ces personnages avaient beau être fictifs, je me sentais responsable du gâchis. Ce n'est pas par hasard si la plupart des gens réfléchissent à deux fois avant d'agir dans le monde réel.

Malgré les apparences, Click to Live s'avérait réaliste et immersif. Bien sûr, l'intelligence artificielle des personnages était simpliste, mais néanmoins cohérente et crédible. Je l'avais appris aux dépens de Michel et de Vanessa... et sans doute d'autres personnes.

Néanmoins, je voulais continuer. Le démon du jeu s'était emparé de moi. La perspective de concrétiser mes rêves les plus fous, de manipuler le destin m'excitait. Tirer les ficelles au lieu d'être le jouet d'un autre.
Le loisir est devenu une passion, la passion une obsession. J'étais François, Kenneth, Maria, Ruth, au gré de mes envies. Je devenais bâtisseur de fortunes, découvreur de talents, génie, célébrité, ou juste un pauvre hère victime des accidents les plus improbables...et les plus drôles. La morale n'existe pas dans le virtuel. Tuer n'est qu'un jeu parmi d'autres, d'autant plus lorsqu'on peut littéralement se noyer dans une flaque d'eau par pur caprice pour se réincarner l'instant d'après en quelqu'un de plus jeune et plus fringant. J'ai transformé un gang portoricain en vendeurs de glaces et nommé un enfant président des États-Unis. J'ai réconcilié Palestine et Israël que j'ai ensuite noyés sous un tapis de bombes à hydrogène sealandaises. J'ai entretenu les relations les plus honteuses et les plus inavouables avec qui m'en prenait le caprice. J'étais un dieu au milieu des fourmis.

Puis je me suis calmé. Mais pas mon désir de jouer. Je me suis pris de sympathie pour Henri, un ancien collègue de Michel. Je lui ai fait consoler Clarisse, la sœur de Vanessa, et tous deux ont commencé à se voir régulièrement.
Je me suis mis à négliger le monde réel. Tous les jours, je me précipite chez moi pour constater les progrès des tourtereaux. Tourner la page, fonder une famille, être heureux. Tout ce qui m'est inaccessible en vrai. Mais je mentirais si je prétendais que mon seul plaisir est de voir mes personnages épanouis.

En vérité, c'est l'emprise que j'ai sur eux qui me plait le plus. S'il m'en prenait l'envie, je pourrais tout stopper du jour au lendemain. Couper les fils de la marionnette, détruire le château de cartes d'un revers négligent de la main. Mais je continue. Et cette tension entre potentialité et discipline de jeu (ou plutôt, de vie) me passionne. Les automates dansent pour moi, et moi je les entretiens avec amour. Juste parce que je le peux.

Récemment, Henri s'est acheté un nouvel ordinateur. J'étais content de l'investissement, qui améliorerait sans nul doute le bonheur du foyer (Clarisse a emménagé chez lui la semaine passée), et je prends soin de laisser du temps à mon protégé pour qu'il puisse décompresser. Le boulot n'est pas tendre avec lui pour l'instant : briguant une promotion, il s'est mis à accumuler les heures supplémentaires, et les collègues jasent. Les regards jaloux s'accumulent, les chuchotements se font de plus en plus oppressants, et son supérieur direct s'efforce de tuer ses espoirs dans l'œuf. Peine perdue. Henri réussira, j'y suis décidé. Il est intelligent et volontaire. Ce n'est pas parce qu'il vit une mauvaise passe qu'il se laissera abattre. Je le veux.

Aujourd'hui, Henri semble particulièrement épanoui. Il a découvert hier soir un jeu vidéo qui semble le passionner. Moi, par contre, je ne suis pas dans mon assiette. J'ai été nerveux toute la journée, et j'ai plusieurs fois perdu le contrôle de mes émotions, criant sur mon chef, ce qui ne m'arrive jamais. J'espère que cela ne prêtera pas à conséquence. Plus curieux encore, pris d'une inspiration subite, j'ai invité une collègue à boire un verre dans les jours qui viennent. Et elle a dit oui ! Je ne sais que penser. Mais l'occasion ne se reproduira sans doute jamais.

Peu importe. Ce soir, mon temps est tout à Henri.

Sitôt arrivé chez moi, je lui rends visite. Sans surprise, il pianote sur son ordinateur. Je le regarde avec amour. S'il en est là, après tout, c'est grâce à moi. Je ressens une fierté toute paternelle à contempler le fruit de mes efforts.

Je me sers un yaourt à la fraise, et lapant à même le pot, je pense à son avenir et ses conquêtes. Tu seras un grand homme, mon fils. Digne de mes attentes. Mon téléphone entre les mains, je téléphone à Kim Jong-Un, bien plus sympathique que je l'imaginais. Il m'invite à un barbecue, et j'accepte avec plaisir avant de raccrocher mon téléphone et de me replonger dans la vie d'Henri.

Je le vois presser un bouton, et moi je cesse de bouger. Immobile. Ce n'est pas mon genre. Et là, je sens que quelque chose ne va pas. Mon attitude n'a aucun sens. Pas plus que celle du surfeur hawaïen croisé dans la rue qui m'a offert le chat que je suis en train de caresser.

Non.

Chaque fois qu'Henri presse un bouton, quelque chose se produit.

Impossible.

En face de moi, la marionnette réprime un bâillement et porte le mug Terminator que je lui ai acheté à ses lèvres. Je suis pétrifié. Incapable de faire le moindre geste. Je me sens mal. Si je le pouvais, je vomirais dans l'instant. C'est...

Non.

Je suis le jouet ?

Absurde. Mais indéniable. L'idée me glace le sang, et très vite me vient une idée désagréable. Que se passera-t-il lorsqu'il sera lassé de jouer ? Quel sera mon sort au moment où il éteindra son ordinateur ?

C'est alors que se produit un événement dont je me souviendrai toute ma vie. Il me regarde. Dans les yeux. Que suis-je à ses yeux ? Un homme ? Un objet ? L'expérience est saisissante. Je me sens pris d'une grande humilité et d'une certaine honte. Si c'est moi le programme informatique, suis-je seulement capable d'appréhender la personne qui me fait face ? Ses yeux rivés dans les miens, il esquisse un sourire. Il s'adresse alors directement à moi : « Tout ira bien, ne t'en fais pas. Tu me plais. Je t'ai choisi. Tu auras une belle vie, je m'en assurerai. Mais ça ne peut plus durer. Ça fait plusieurs jours que tu m'inquiètes. Tu négliges le travail et ta santé pour jouer sur ton ordinateur. Ça ne va pas. Tu n'iras nulle part comme ça. Il est temps pour toi de décrocher ». Il a une belle voix, à peine déformée par les baffles. Je l'avais oublié. Prenant un air désolé, Il se saisit de sa souris et clique.

Je suis pris d'une irrépressible pulsion. Je dois arrêter, j'en ai assez fait pour aujourd'hui. Comme si c'était ce que j'avais toujours voulu faire, je pose le doigt sur un bouton. Avec un dernier regard à l'égard de l'homme d'ailleurs, j'éteins mon ordinateur.

Je suis alors pris d'un terrible vertige, et les pensées les plus folles se bousculent dans ma tête. Étais-je contrôlé tout ce temps ? Ne suis-je qu'une intelligence artificielle dans un jeu vidéo ? Folie ! Ce n'est pas possible. Non. Certainement pas. Je m'interroge, et m'interroge encore, toujours tétanisé. Mais une question reste en suspens. La pire de toutes.

Que suis-je censé faire maintenant ?
[/spoiler]

La salade
[spoiler]C'était ce qu'on faisait de mieux en matière de salade. Ergonomique, rationnelle, dans un plat. Une salade, quoi.

Or donc, la salade dont je vous raconte l'histoire se trouvait fort aise sur une petite table en pin recouverte d'une nappe aux motifs floraux. Ambiance printanière. Elle trônait fièrement au milieu d'autres petits plats, et semblait très satisfaite d'elle-même, bouffie d'un profond orgueil. C'était en effet un plat très suffisant, et si elle avait pu parler, ç'eût sûrement été d'elle-même. Mais, bien sûr, notre salade, toujours aussi rationnelle, ne pouvait pas parler. Alors, en désespoir de cause, elle poussait. Ca ne veut pas dire grand-chose sans doute, mais il est indéniable qu'elle devait pousser d'une façon ou d'une autre. C'est certain.

Néanmoins, notre salade, malgré tous ses efforts d'égocentrisme et une intense mobilisation de ses forces pour se concentrer sur elle-même, ne pouvait pas faire abstraction des deux autres occupants de la pièce. Un homme et une femme, qui n'entraient pas vraiment dans les canons de beauté des salades (quoique la femelle fût joliment garnie), mais devaient sans doute être agréables à regarder, d'une certaine façon. Sauf au moment précis où se déroule notre histoire, car ils se disputaient. Enfin, pas vraiment, en fait c'était surtout la femme qui hurlait sur son mari, prostré et les larmes aux yeux. Sa compagne le tournait en ridicule de toutes les façons possibles et imaginables, et ce avec une joie mauvaise tandis qu'il n'arrêtait pas d'essayer (vainement) de parler (ces hommes !). Elle lui jetait à la figure qu'elle avait une aventure depuis des mois juste sous son nez et que ce gros nigaud ne s'était aperçu de rien. Elle disait également qu'elle ne voulait plus vivre avec lui, qu'il était un minable et qu'il resterait un minable jusqu'à la fin de sa vie, que ses bagages étaient prêts et qu'elle partait dans l'heure. Finis, les faux-semblants, les dissimulations, la façade de vie de couple devant les amis. Elle allait refaire sa vie avec le fils du boulanger, beau comme un dieu, monté comme un cheval,... et bête comme ses pieds.

Notre amie la salade avait du mal à saisir l'ampleur du drame qui se déroulait devant ses... feuilles ? Aussi ne jugea-t-elle pas utile de s'immiscer dans la conversation d'une façon ou d'une autre. Elle attendait avec confiance son heure, le moment où tous les regards se tourneraient vers elle et où les mâchoires s'activeraient en rythme pour la transformer en matière digestible. Le point d'orgue de toute une existence... Si elle le pouvait, elle en saliverait sûrement d'avance. Mais, comme la plupart des salades, elle en était hélas incapable.

Parlons un peu de sa personnalité, à la salade : sans doute aurait-elle pu devenir une dictatrice si elle n'avait pas été un légume. Car comme tout le monde le sait, la caractéristique première des dictateurs est une frustration profonde et intrinsèque de ne pas être une salade. Cela tombe sous le sens. Heureusement pour nous, notre dictatrice potentielle était exactement ce qu'elle voulait être, et ne ressentait donc pas le besoin de faire du mal à son prochain. De plus, comme on l'a déjà dit, ce n'était pas la première salade venue. Il s'agissait d'un chef-d'œuvre culinaire, dû au génial cuisinier qu'était l'homme qui tentait en vain de retenir ses larmes ce jour-là à quelques pas de la table. Le célèbre Umberto Rogier, contrairement à sa création, ne semblait pas dans son assiette. Cette salade, sommet de son art et raffinement ultime d'une vie basée sur l'amour de la bonne chère, était censée épouser la noble mission de restaurer son mariage qui battait manifestement de l'aile.

Mais sa femme, la terrible Cassandra, n'avait même pas daigné jeter un œil sur le plat le plus noble qui eut jamais foulé le sol de notre planète (façon de parler, bien sûr, les salades n'ont pas de jambes). Ce qui ne manquait pas d'irriter profondément l'occupante de la table, qui voyait là remise en cause son hégémonie. A vrai dire, elle n'avait jamais compris pourquoi durant sa longue existence de salade (presque deux heures !) son géniteur (osons les mots) s'encombrait de la harpie qui lui tenait lieu d'épouse. C'est que la salade n'avait pas encore connu l'amour, ou tout au plus celui qu'on doit à la personne qui vous met au monde. Elle ne pouvait pas comprendre que la première fois qu'Umberto avait posé son regard sur Cassandra, le sens de sa vie avait changé, et qu'il s'était juré que plus jamais il ne quitterait cette femme, pour l'aimer et la protéger. Il n'avait pas encore capté que c'était surtout lui qui avait besoin de l'être, et que sa bien-aimée avait dit oui plus par pitié que par amour.

La femme lança encore quelques phrases assassines, rassembla ses valises et quitta la maison. Un grand silence tomba sur la cuisine, tandis que le cuisinier tentait de reprendre ses esprits. Mais son esprit profondément romantique refusait d'en rester là, aussi décida-t-il de couper court et de rentrer dans le vif du sujet. Stoïque, il se rendit dans un magasin de bricolage.

Et pendant ce temps, la salade conservait son air sobre et distingué (exercice difficile pour une laitue) au cas où un tiers passait par là, regardait par la fenêtre et décidait de contempler le plat qui siégeait sur la table. Elle n'était pas sûre de comprendre tous les tenants et aboutissants de la scène qui venait de se dérouler devant elle, mais elle était convaincue que si elle donnait le meilleur d'elle-même, on s'occuperait bientôt de son cas. Elle bouillait d'impatience et se sentait plutôt vexée d'avoir été laissée en plan aussi longtemps, car elle était consciente de sa valeur.

Lorsque son père revint, c'était avec un escabeau et une corde qu'il déposa dans un coin. Il se saisit d'une feuille de papier et d'un stylo, et s'assit face à la salade, qui retint son souffle. Le moment était-il enfin arrivé ? Quels étaient ces ustensiles étranges ? Allait-elle bénéficier, du fait de son statut, d'un traitement particulier ? Quand le cuisinier brandit le stylo, elle frémit doucement, prête à accomplir son destin. Aussi, quand il s'en servit sur la feuille de papier et non sur les siennes, elle en conçut une terrible jalousie. Quel était cet aliment qui se permettait de venir sur sa table monopoliser son créateur... prendre sa place ? Elle bouillait littéralement de rage. Avec une joie mauvaise, elle regarda son créateur s'énerver sur la feuille, la chiffonner et la jeter négligemment. Le voir en reprendre une nouvelle fut un comble pour la salade, mais quand Umberto recommença son manège deux fois, trois fois, elle comprit que ses rivales ne faisaient pas le poids. Elle fut quand même irritée et inquiète lorsqu'il en choisit finalement une (la salade ne voyait pas ce qu'elle avait de plus que les autres) et la cuisina longuement. Elle ne se calma que lorsque, après presque une heure de supplice, Umberto cessa de rédiger et déposa feuille et stylo dans un coin. Après quoi, il prit l'escabelle, la plaça au milieu de la salle et entreprit d'accrocher la corde au plafond. Cela dura un certain temps, car il n'était pas sûr de la marche à suivre. La salade était très étonnée : quelle était cette nouvelle manigance ? Elle commençait à perdre confiance en son créateur, qui ne cessait de la décevoir.

Il y eut un craquement, et son père parvint d'un coup à tenir en l'air sans l'escabelle.

Plusieurs heures passèrent. La salade observait son géniteur, attendant qu'il produise encore quelque tour à son attention. Mais à part quelques balancements, il ne fit plus rien. La salade s'impatientait. Allait-on encore différer longtemps sa consécration ? Pourquoi cela prenait-il si longtemps ? Cela ne semblait pas fort sérieux de la part d'un si grand cuisinier.
Terriblement vexée, la salade décida que ça commençait à bien faire, alors elle déploya ses réacteurs et s'envola par la fenêtre. A-t-on idée de traiter une salade ainsi...

La porte s'ouvrit brusquement, et Cassandra parut. Elle appela Umberto, cria qu'elle avait changé d'avis, qu'elle l'aimait, merde ! Mais il ne répondit pas. Il ne le pouvait pas.

Sa salade était partie.[/spoiler]

Une tomate verte
[spoiler]L'histoire que je vais vous raconter m'a été rapportée par un jeune pirate du nom de Brucifer le Pleutre, qui la tient lui-même de Rastagnetta la barmaid, qui l'aurait entendue de Popol le blaireau (ou était-ce le héros ?), lui-même en ayant eu vent par Robinet le Caddie (la postérité n'a pas retenu s'il s'agissait d'un caddie de supermarché ou d'un caddie de golf, une personne saine d'esprit pencherait naturellement pour la seconde proposition mais le contenu de l'histoire étant ce qu'il est, on est en droit d'hésiter...). Je sais ce que vous allez me dire, mais par pitié, ne m'interrompez pas. Oui, c'est déjà le bordel avant même d'avoir commencé, je sais, mais essayez de vous laisser faire, d'accord ? Je me suis pas cassé la tête à retenir ce fatras incompréhensible pour rien, moi, vous pigez ? Bon.

Donc. Oui. Sachez que les différents intermédiaires ont tous juré solennellement la tenir de personnes de confiance, aussi sa véracité ne doit pas être mise en doute. Et d'ailleurs c'est moi qui raconte, alors si vous voulez pas y mettre du vôtre vous pouvez aussi bien vous casser maintenant. J'ai pas que ça à foutre moi, à distraire des tocards qui m'écoutent même pas.

Oh, vous avez l'air impatients. Je vous dérange, peut-être ? J'ai un drôle de truc sur le visage ? C'est mon nez, connard. Et le tien est pas mieux. Si j'ai envie de prendre mon temps, je le prends, point à la ligne. Rien à foutre que ta femme t'attend, que ton chien a le cancer ou que ta maitresse t'a promis une partie de jambes en l'air mémorable. Je vous l'ai dit, vous pouvez vous casser si vous avez autre chose à faire, c'est pas mon problème. J'ai été payé, je fais mon job, le reste, rien à branler.

Quoi ? Je fais chier ? Dis-moi, t'as du mal avec le français peut-être ? Ton cerveau arriéré ne suit pas ? J'ai dit qu'on ne m'interrompait pas ! Allez, tu te barres. Non. J'ai dit tu te barres, bordel ! Je veux pas de toi ! Va te toucher la nouille, jouer au craps, ce que tu veux mais ailleurs, t'es moche et tu pues. SÉCURITÉ !!!

Non mais vos gueules. J'AI DIT VOS GUEULES ! Toi tu me réponds pas, putain. Ah, tu veux des histoires ? Tu veux que je fasse mon boulot ? Très bien. Non, t'as raison, c'est vrai. Quoi ? Que je me rassoie et que je parle plus doucement ? Et tu veux pas un café aussi avec ça ducon ? Je te l'ai dit, ici c'est moi qui cause, toi ton rôle c'est de fermer le cloaque nauséabond qui te sert de gueule et d'ouvrir les putains d'orifice qui te servent de pavillons. On est d'accord ?

Non ? Putain, mais tu veux vraiment des problèmes toi ! TU VEUX MON POING DANS LA GUEULE C'EST CA ? Je vais te faire avaler tes dents et les faire ressortir par ton urètre, pauvre tache.

Bon. Bon. Booooooooon. Ok, ça va j'ai compris, vous êtes tous contre moi, je vais vous la raconter votre putain d'histoire , les déchets. Vous êtes  prêts ? Vous avez intérêt à la fermer et à écouter.

C'est l'histoire d'une putain de tomate verte qui se promenait dans une putain de forêt magique, et elle cherchait des putains de vêtements. Parce que comme vous, bande de putain de tocards, elle savait pas se saper, et tout le putain de village se foutait de sa gueule.

CA Y EST, VOUS ÊTES CONTENTS LES TOCARDS ? VOUS ÊTES CALMÉS ? C'EST CA VENEZ-Y, ON VA RÈGLER CAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!!!!!
[/spoiler]

Au fond de la nuit
[spoiler]La réalité. Juste la réalité. Je me forçai à plonger les yeux dans les ténèbres oppressantes. Je pouvais deviner la forme de la porte de ma chambre, et plus loin ma commode. Je ne pouvais voir le sol. Il était jonché d'objets divers, je le savais, ce qui expliquait mon inaptitude à le délimiter clairement. Aucun détail ne parvenait à ma rétine, j'étais presque aveugle. Mais il fallait que je me force, sinon les ténèbres m'engloutiraient.

Je jetais de temps à autres quelques regards furtifs en direction de mon écran. Sa lumière me réconfortait. Elle me réconfortait mais en même temps, elle était la source de tous mes problèmes. Si je la regardais trop intensément, les ténèbres m'engloutiraient.

Quelle heure était-il? Impossible à dire. Cela faisait plusieurs heures que j'aurais dû me coucher. La fatigue m'avait fait perdre tout sens commun, j'étais comme dans un autre monde, perdu dans les ténèbres.

Ce noir.

Ce noir me terrorisait.

Des ténèbres tangibles. J'avais l'impression que si je tendais les mains, je pouvais les toucher. Et alors elles se répandraient autour de moi, sur moi et en moi jusqu'à engloutir la plus infime parcelle de mon existence.
Et il restait ce dilemme. Quand je regardais mon écran, sa lumière me pénétrait, comme si j'étais dans un îlot de sécurité au milieu de la tourmente. Mais alors les ténèbres se resserraient autour de moi, et je perdais la faculté de percer l'obscurité. En quelque sorte, la fuir lui donnait vie. L'autre option était de plonger mon regard dans ses tréfonds. Mais j'étais convaincu que mon esprit n'en sortirait pas indemne, je lui avais déjà laissé beaucoup trop de force pour s'insinuer au plus profond de mon être. Elle bougeait, elle respirait comme un être vivant, ou plutôt comme des milliers d'êtres vivants qui se confondaient les uns dans les autres dans une ronde qui menaçait d'effacer mon esprit de la réalité.

Toutes les peurs les plus primaires de l'humanité avaient pris corps dans ma chambre. Elles me voulaient. Elles susurraient à mon oreille des mots dangereux. Paroles séduisantes, paroles terrifiantes. Des leurres pour me perdre.
Il y avait une présence monstrueuse, bien plus grande que tout ce que l'on connaissait, que l'univers tout entier. Plusieurs plans d'existence ne suffisaient à la contenir.

Je tressaillis. Cela faisait déjà plusieurs minutes que j'avais laissé mon esprit s'évader en pensée, et le brusque retour à la réalité me fit prendre conscience que je fixais les ténèbres depuis beaucoup trop longtemps. Terrorisé, je me réfugiai dans le monde virtuel, cette rassurante lumière électrique qui me disait que tous les fantasmes ne pouvaient rien face à l'ingénierie humaine. Le seul refuge de l'humanité face aux puissances ancestrales.

Je repris ma partie.

Link parcourait les plaines d'Hyrule désormais transformées par l'ignoble Ganondorf en un monde de fantasmes. Les créatures les plus ignobles étaient nées du pouvoir de la Triforce, et seul le héros détenteur de la volonté des trois Déesses pouvait mettre fin au cauchemar. Boss après boss, donjon après donjon, l'adrénaline courait entre mes tempes dans ce paradis imaginaire qui donnait forme à l'intangible et me permettait de le bannir de notre plan d'existence.

Je pouvais tenir jusqu'au matin, j'en étais sûr. Au matin les ténèbres s'en iraient, me permettant d'enfin dormir.
Au XXIème siècle, les fantasmes ne pouvaient plus rien contre nous. Il nous suffisait de les fuir suffisamment longtemps pour qu'ils perdent tout pouvoir. Pourquoi affronter nos peurs puisque nous pouvions les repousser en-dehors de nos frontières, à des lieues de nos citadelles de verre et de lumière, avec tous les autres maux de l'humanité.

Je poursuivais ma partie. J'étais enfin parvenu devant le repaire du boss final. Je me frayais un chemin parmi les vagues d'ennemis, les sons criards propres à la culture nippone déferlaient dans mes écouteurs avec une telle régularité qu'ils me semblaient plus réels que le reste de notre galaxie. Mon compteur de coeurs au maximum, tous les trésors de tous les donjons du jeu dans mes poches, il ne me restait plus qu'à affronter Ganon, dans sa forme la plus hideuse.
La lumière de mon écran vacilla, puis s'éteignit, pour se rallumer presque aussitôt. Non! Pas maintenant! Il n'y avait jamais aucune coupure chez moi, cela ne pouvait arriver à un tel moment. Heureusement, j'avais sauvegardé à temps. Un peu frustré, j'entrais à nouveau le mot de passe de ma session. Je pouvais voir qu'il était encore trop tôt que pour arrêter, beaucoup trop tôt. Les ténèbres s'étaient rapprochées, je sentais un souffle sur mon échine, et j'avais l'impression qu'on bougeait autour de moi.

Je repris ma partie. Mon écran devint noir. Pour ne plus jamais se rallumer.

Les monstres se jetèrent sur moi, et la présence broya mon âme, comme elle le faisait pour tout ce qui existait et comme elle le ferait pour l'éternité, à tous les moments à la fois.[/spoiler]

Fan fics

Le Héros du Temps et la Fête de Noël
[spoiler]La nuit était tombée sur le royaume d'Hyrule. Couvert de neige, il s'étendait à perte de vue, rendu totalement uniforme par celle-ci. Ses habitants, oppressés par la température, ne sentaient plus leurs membres. Tout déplacement était pénible, mais une certaine ambiance régnait parmi les badauds, oubliant un temps leurs douleurs aux pieds pour se consacrer à la féérie du ballet aérien des flocons dans le ciel. Link, le héros du temps, détenteur de la Triforce du courage, incarnation sur terre de la volonté des déesses, fierté des habitants d'Hyrule et plus grand défenseur des peuples opprimés, se battait. Oui, en cette nuit de Noël, quelques heures à peine avant l'heure fatidique que tous dans tous les mondes connus attendaient avec ferveur et impatience, il croisait le fer. Encerclé d'octoroks, son épée fendait les airs, coupant là, une patte, là une trompe, fendant les corps en deux, imprimant sur la plaine immaculée des arabesques écarlates. Il voyait la terreur dans les yeux de ces créatures, il sentait leur désir de s'enfuir à toutes jambes pour se terrer dans un trou profond et sombrer dans un oubli salvateur, mais ils savaient qu'ils ne feraient pas trois pas qu'ils seraient embrochés sur l'épée magique du plus puissant bretteur que le royaume ait jamais possédé. Alors ils se battaient également, pour assurer un avenir à leur espèce, sachant confusément qu'aucun salut ne leur serait jamais accordé. Mais pourquoi le Héros éternel se livrait-il à un tel acte de barbarie ? Il savait pourtant pertinemment que, ayant banni une fois encore le terrible Ganondorf du monde des vivants, ces créatures, à présent pacifiques, ne présentaient plus aucun danger pour quiconque. Mais là n'était pas le problème.

Si on y réfléchit, qu'est en réalité le détenteur du Courage, si ce n'est une arme dans les mains des Déesses immortelles ? Sa seule raison d'être, c'est le combat. Quand Ganondorf fut banni, désœuvré, Link tenta de mener une vie normale. Mais toujours, au moindre bruit, sa main retournait à Excalibur, battant son flanc et faisant résonner son chant enivrant dans son esprit. Elle lui faisait miroiter son passé glorieux, et celui de tous les Link depuis la nuit des temps. Des images défilaient dans sa tête, les réincarnations de Ganondorf, Vaati le terrible sorcier, Bellum, ennemi du Roi des mers, et chacun des monstres qu'il avait jamais combattu, dans cette vie ou dans une autre. Il était fait pour ça. Aussi plaqua-t-il tout ce qu'il connaissait pour s'enfoncer dans les sombres méandres de terres sauvages, qui étaient également ceux de son esprit. N'ayant plus de but précis, il erra ça et là, posant des bombes, bandant son arc, tuant des créatures désormais inoffensives : primates et oiseaux, peuples humanoïdes tels les molblins, des créatures marines, des bandits, ou simplement tout humain armé qu'il croisa, Excalibur demandait toujours plus, le sang l'appelait, et elle transmettait cet appel à son maître devenu esclave de la Mort. Il n'était plus que violence, et semblait n'avoir jamais rien été d'autre.

Sur la blanche plaine d'Hyrule, quelques heures avant Noël, les octoroks étaient devenus les victimes de cette machine à tuer. Bientôt, ils ne furent plus qu'un ou deux, très peu avaient réussi à s'échapper, les autres étant paralysés par le terrifiant éclat qui illuminait les yeux de Link. Au fil de ses pérégrinations dans les recoins les plus sombres de la plaine d'Hyrule, il avait découvert de terribles artefacts qui n'auraient jamais dû être à sa portée. Il devenait peu à peu le monstre qu'il combattait depuis toujours par essence, les pouvoirs qui étaient désormais les siens le rendaient à même de s'attaquer à la citadelle d'Hyrule, et aux peuples principaux de ce monde. Gorons, zoras, hyliens, et tous les autres, chacun connaitrait un sort funeste. Et quand il aurait fini avec cet univers, il s'attaquerait à une dimension parallèle, puis une autre, et une autre encore... Après tout, n'en avait-il pas le pouvoir ?

Seul au milieu de la plaine d'Hyrule, revêtue des couleurs de l'hiver, barbouillé de sang et reflétant tout ce qu'il y avait de plus vil en chacun de nous, à quelques heures à peine de la fête de la paix, du pardon et du partage, Link, le Héros du Temps, s'apprêtait à invoquer des légions démoniaques pour ensevelir le monde sous un voile de ténèbres et d'oubli.

Une comète fendit l'immensité noire du ciel. À quelques pas, les buissons bruissèrent, et un vent purificateur se leva. Des taillis proches sortit une longue silhouette droite et lumineuse. Quand elle s'approcha, Link reconnut... la princesse Zelda. Elle avança vers lui, son regard fixé dans le sien, semblant mettre au défi les ténèbres de son cœur de sortir au grand jour. Link n'essaya même pas de l'empêcher d'approcher. Quand elle le toucha, il réapparut tel qu'il était en réalité, le jeune homme vêtu de vert qui voyage à travers le monde et qui ne reste nulle part. La lumière de la princesse s'amplifia, et Link se renversa en arrière, les yeux révulsés. L'épée Excalibur jaillit de son fourreau, sembla résister puis s'envola pour aller se figer dans un rocher, qui fut recouvert du sceau des Déesses, attendant à nouveau son heure. Tous les objets que Link avaient réuni au fil du temps regagnèrent leur place, pour n'en sortir qu'à l'approche d'un nouveau malheur. Puis la lumière qui englobait la princesse s'estompa peu à eu, et Link sembla s'éveiller d'un profond sommeil. Il tomba à terre, mais Zelda le retint. Heureusement pour tous, les Déesses avaient muni l'arme d'un cran de sécurité, qui protégeait le monde d'un destin funeste. Link regarda la princesse :

« Je suis désolé. J'ai commis un grand mal... Je mérite de disparaître. » Son visage était couvert des larmes du repentir.

La princesse essuya son visage :
« Tant que je serai là, aucun être ne mettra fin à ses jours le soir de Noël. Viens, maintenant, la Citadelle résonne des pas de chacun. Les étals sont dressés, et le sapin domine la Grand-Place. Dans peu de temps, l'on va entonner les cantiques. Tu ne voudrais quand même pas manquer ça ? »

Zelda aida un homme nouveau à se lever. S'enfonçant dans la solitude glacée de la plaine d'Hyrule, deux silhouettes enlacées faisaient route vers le bonheur.
[/spoiler]

14 Janvier 2012 à 19:21 #1 Dernière édition: 14 Janvier 2012 à 19:24 par Supersigo
Citation de: Antevre le 14 Janvier 2012 à 18:42
... En fait j'aurais dû la poster pour participer au concours, comme solution de secours, mais on me dit dans l'oreillette que je suis pas capable de lire un calendrier correctement et que le concours est déjà terminé donc.... tant pis.
Tu ne l'aurais jamais posté à temps de toute façon. :ninja:
J'ai lu A Merry Christmas, je n'ai pas tout saisi, mais je trouve quand même que c'est pas mal. J'aime bien le contraste formé par le passage d'un univers joyeux et en même temps innocent à un véritable cauchemar. Un peu court peut-être, il y aurait pu y avoir encore davantage de descriptions, ce qui aurait renforcé cet impression particulière que tu nous fais ressentir, mais la rapidité des événements a aussi un rôle à jouer dans la vitesse à laquelle le monde que tu nous présente s'écroule, ce qui revient à peu près au même. ^_^ (tu me suis ? :P)
Par contre, comme je l'ai dit plus haut, je n'ai pas compris plusieurs choses, par exemple qui est désigné par le «Je» et où cette histoire prend place, mais cette incompréhension fait en sorte que je ressors encore plus déconcerté de ma lecture, ce qui est peut-être voulu. :fonsde:
[spoiler]Et ce que j'ai le plus apprécié : du SANG !!! :mdr:[/spoiler]
Sinon je trouve que c'est une bonne idée de regrouper tes écrits ici, ça évitera de les disperser dans la section fanfic. Cependant, je doute fort que tu réussisses à poster un texte par semaine. :mrgreen: (je blague bien sûr  :bisou: )

22 Janvier 2012 à 18:09 #2 Dernière édition: 22 Janvier 2012 à 21:09 par Antevre
Alors pour le nombre de descriptions c'est voulu, le but était que ce soit court et frappant ;) comme tu l'as deviné, la rapidité des évènements joue un rôle important dans mon histoire.

Pour l'histoire du "je" à la fin, je ne peux pas plus l'expliciter dans le texte sans casser ou affaiblir l'effet^^ peut-être que je pourrais réfléchir à un moyen de le retravailler mais je l'aime bien comme ça^^ après si tu comprends vraiment pas je peux t'expliquer, pas de problème :P

Bon, cette semaine j'ai jeté un oeil dans mes cartons (façon de parler, j'ai le papier en horreur depuis un an ou deux), et j'ai sorti deux trois nouvelles qui sortent du lot. Problème, j'ai décidé de les retravailler, c'était en bonne voie jeudi mais il se trouve que je n'ai eu aucun temps libre à partir de vendredi. J'ai donc décidé, pour respecter ma règle d'au moins un texte par semaine, de rajouter des textes présentés les deux années passées aux concours de Noël (comment ça, c'est de la triche?... ben ouais, et alors :ninja:). J'en mets deux, comme ça on va dire que ça compense :P je vous invite à les relire si ça vous amuse, j'ai décidé de ne pas les retravailler car elles sont globalement au point (il y a une ou deux imperfections, c'est vrai, mais rien de grave...)

Voici donc Minuit pile et Le Héros du Temps et la Fête de Noël (derrière cette histoire au titre peu convaincant se cache, vous l'aurez deviné, une fan fic sur l'univers de Zelda :P

Minuit pile
[spoiler]31 décembre. Je suis dans mon canapé. Dehors, il neige terriblement. Sûrement, personne ne viendra. Mais c'est pas grave. J'ai demandé à personne de venir. Je demande jamais à personne de venir.
Je sirote mon whisky, tranquille. Un océan de tranquillité dans un monde de vitesse et de fureur. Mon smartphone est sur la table, éteint. Mon téléphone fixe est débranché, et mon pc est éteint. Sûrement, des gens allaient appeler. Ou envoyer des messages sur Facebook. J'ai des responsabilités. Mais c'est pas important.
Je connais des gens qui passent le Nouvel An en famille. Ils allument des feux d'artifice dans leur jardin, et les gosses jouent avec des pétards. D'autres sortent, vont en soirée, se défoncent et font la fiesta toute la nuit. Je connais même des types qui ne font rien de spécial au Nouvel An, ils font comme si c'était un jour normal, comme si la plupart des personnes qui vivent dans le même fuseau horaire qu'eux n'attendaient pas exactement le même moment par compte à rebours interposé. Moi, je fais pas comme ça.
A chaque soirée du Nouvel An, je débranche mes appareils, je me coupe du monde et je bois un verre de la même bouteille de whisky dans le même canapé. Je mets la même cassette de Derrick et je regarde le même épisode. Et je vis cet instant éternel, dans une bulle que personne ne peut percer. Je revois les mêmes images dans ma tête et je sens les mêmes choses que ce jour-là. Sous mes doigts, se reforme la même silhouette, je caresse sa peau douce, je respire son parfum, et je perçois la chaleur de son corps contre moi. Je remonte, touche ses cheveux et les renifle. Comme avant. En ouvrant les yeux, je suis sûr que je pourrais presque la voir. Mais je n'ouvre pas les yeux. Pas tout de suite. Je prends le temps de la serrer contre moi, d'embrasser son épaule, de m'imprégner tout entier de sa présence. Et je pleure. Je peux pleurer pendant des heures.
Puis j'ouvre les yeux.
Ca fait dix ans, aujourd'hui. Me rappeler ces jours bénis me fait de plus en plus de mal à chaque fois. Chaque année, à minuit pile, nos verres s'entrechoquent, et nous buvons. Je referme les yeux et je me focalise entièrement sur le goût de l'alcool qui, pendant un centième de seconde qui semble durer toute la vie, fait perdre à mon palais la faculté de goûter. Je savoure cette façon qu'a l'alcool fort de se diffuser sur ma luette, puis sur les parois de mon œsophage. Enfin, le grondement sourd lorsqu'il emplit mon estomac, pareil à cette pulsation de vie que l'on recherche tous, et que l'on trouve de différentes façons.
Et le temps reprend son cours. Je vis ma vie. Je rencontre des gens, je me fais des amis, je m'investis à 100% dans tout ce que je fais. Je célèbre la vie, et on m'aime pour ça. Personne ne sait pourquoi je suis injoignable le 31 décembre. Mais tout le monde a ses manies non ? Apparemment c'est la mienne.
Cette année-ci est différente. Dix ans, ça se fête. Plus que jamais, j'ai besoin d'elle. Besoin de la sentir contre mon corps, d'entendre sa voix, de faire corps avec elle. Derrick interroge le même suspect qu'il y a dix ans avec toujours autant de sérieux. Comme si il était vivant. Comme si elle était vivante. Je n'en peux plus. Je ferme les yeux.
Elle est là. Je la vois. Comme avant. Je passe mes doigts sur le tracé de ses lèvres. Je prends sa tête entre mes mains, mon front contre le sien. Par mon regard droit dans le sien, j'essaie de lui faire passer tout ce que je n'ai su faire passer autrement. Nos doigts entrelacés, je pleure. Je pleure comme je n'ai jamais pleuré. Je la regarde dans les yeux. Elle me sourit. Et je retourne à la réalité.
Moi, je suis pantelant, à terre. Elle, elle n'est plus là. A sa place, un immense trou. Un abîme.
Dix ans, ça se fête. Dix ans, c'est beaucoup. Dix ans. C'est trop.
Cette année-ci est différente. A côté de la bouteille de whisky, une autre bouteille, plus petite, sans étiquette. Une potion magique. Une potion qui nous réunira à jamais. Et tout sera si splendide.
Je me ressers un verre. J'y ajoute la potion. Je secoue légèrement le verre, et bientôt les deux liquides n'en font qu'un, à peine plus clair que le whisky. C'est sans douleur. Je l'ai vu sur internet. Et puis, même si il y avait de la douleur, qu'importe, je la rejoins, ici et maintenant. Rien n'est plus important.
Tout est écrit.
Je porterai le verre à mes lèvres. Quelques secondes après minuit, après avoir entrechoqués nos verres, je viderai le mien d'une traite. Elle aime bien ma façon de vider un verre. Elle l'a toujours aimée. Puis je vais m'allonger dans le canapé, comme nous étions à cette époque. Le creux est toujours là. Je vais fermer les yeux, m'enivrer d'elle, et elle m'emmènera dans son monde. Et tout sera bien.
Tout ça je le ferai. Je ne dois pas faillir. Ne pas penser à mes amis, à cette gentille fille qu'un copain m'a présentée l'autre jour. A tous les instants de bonheur qui ont parsemé ma vie et qui la parsèmeraient encore si je le voulais.
Non.
Sans elle je suis seul.
Sans elle je suis mort.
Minuit pile.
Nos verres s'entrechoquent.
Je vide le mien.
Je m'allonge.
Tout est fini.






La lumière... Je la vois. Elle existe donc vraiment. Je vais la rejoindre, maintenant, tout va bien. Tout est blanc. Je suis entouré de beaucoup de personnes. Sans doute vont-elles dans la même direction que moi. Mais elles n'en ont pas l'air. Je suis toujours couché, dans la même position qu'avant. Maintenant, elle est là. Je tends la main vers elle. Je ressens une gêne, mais ce n'est pas grave. Elle se tourne vers moi et me sourit.
« Tu as une drôle de façon de fêter le Nouvel An. Mais maintenant c'est fini »
Oui... Tout est fini.
« Quentin ! Il est réveillé ! »
Hein ?
« Ah, enfin ! Comment va-t-il ?
-Pas trop mal, on dirait. Mais je suis pas experte en la matière.
-Tu sais que tu nous as fait vachement peur ? Abruti ! Qu'est-ce qui t'a pris ?
-Que... Que se passe-t-il ? Pourquoi j'ai un baxter dans le bras ?
-Tu t'es raté, couillon ! Voilà ce qui s'est passé ! On est tous venus chez toi. On voyait bien chaque année que tu étais de plus en plus déprimé à la même date. Alors on a voulu faire la fête avec toi. On t'a trouvé à moitié mort dans ton vieux canapé. Les médecins ont dit que tu allais bien, qu'on était arrivé à temps, tu venais juste d'avaler le poison. Après un bon lavement d'estomac, ils ont dit que tu étais hors de danger. T'es vraiment con ou quoi ? En plus maintenant tu vas devoir te taper le psy, les antidépresseurs et tout le bordel.
-Moi aussi je t'aime...
-Oh, ta gueule, j'ai vraiment pas envie de rire. Est-ce que tu sais tout ce que... »
Mais je l'écoute plus. Je la regarde. Je ressens ce que je n'ai plus ressenti depuis 10 ans. Elle me regarde aussi. Et je vois qu'on se comprend.
Tout n'est pas fini... En fait, tout ne fait que commencer.
[/spoiler]

Le Héros du Temps et la Fête de Noël
[spoiler]La nuit était tombée sur le royaume d'Hyrule. Couvert de neige, il s'étendait à perte de vue, rendu totalement uniforme par celle-ci. Ses habitants, oppressés par la température, ne sentaient plus leurs membres. Tout déplacement était pénible, mais une certaine ambiance régnait parmi les badauds, oubliant un temps leurs douleurs aux pieds pour se consacrer à la féérie du ballet aérien des flocons dans le ciel. Link, le héros du temps, détenteur de la Triforce du courage, incarnation sur terre de la volonté des déesses, fierté des habitants d'Hyrule et plus grand défenseur des peuples opprimés, se battait. Oui, en cette nuit de Noël, quelques heures à peine avant l'heure fatidique que tous dans tous les mondes connus attendaient avec ferveur et impatience, il croisait le fer. Encerclé d'octoroks, son épée fendait les airs, coupant là, une patte, là une trompe, fendant les corps en deux, imprimant sur la plaine immaculée des arabesques écarlates. Il voyait la terreur dans les yeux de ces créatures, il sentait leur désir de s'enfuir à toutes jambes pour se terrer dans un trou profond et sombrer dans un oubli salvateur, mais ils savaient qu'ils ne feraient pas trois pas qu'ils seraient embrochés sur l'épée magique du plus puissant bretteur que le royaume ait jamais possédé. Alors ils se battaient également, pour assurer un avenir à leur espèce, sachant confusément qu'aucun salut ne leur serait jamais accordé. Mais pourquoi le Héros éternel se livrait-il à un tel acte de barbarie ? Il savait pourtant pertinemment que, ayant banni une fois encore le terrible Ganondorf du monde des vivants, ces créatures, à présent pacifiques, ne présentaient plus aucun danger pour quiconque. Mais là n'était pas le problème.

Si on y réfléchit, qu'est en réalité le détenteur du Courage, si ce n'est une arme dans les mains des Déesses immortelles ? Sa seule raison d'être, c'est le combat. Quand Ganondorf fut banni, désœuvré, Link tenta de mener une vie normale. Mais toujours, au moindre bruit, sa main retournait à Excalibur, battant son flanc et faisant résonner son chant enivrant dans son esprit. Elle lui faisait miroiter son passé glorieux, et celui de tous les Link depuis la nuit des temps. Des images défilaient dans sa tête, les réincarnations de Ganondorf, Vaati le terrible sorcier, Bellum, ennemi du Roi des mers, et chacun des monstres qu'il avait jamais combattu, dans cette vie ou dans une autre. Il était fait pour ça. Aussi plaqua-t-il tout ce qu'il connaissait pour s'enfoncer dans les sombres méandres de terres sauvages, qui étaient également ceux de son esprit. N'ayant plus de but précis, il erra ça et là, posant des bombes, bandant son arc, tuant des créatures désormais inoffensives : primates et oiseaux, peuples humanoïdes tels les molblins, des créatures marines, des bandits, ou simplement tout humain armé qu'il croisa, Excalibur demandait toujours plus, le sang l'appelait, et elle transmettait cet appel à son maître devenu esclave de la Mort. Il n'était plus que violence, et semblait n'avoir jamais rien été d'autre.

Sur la blanche plaine d'Hyrule, quelques heures avant Noël, les octoroks étaient devenus les victimes de cette machine à tuer. Bientôt, ils ne furent plus qu'un ou deux, très peu avaient réussi à s'échapper, les autres étant paralysés par le terrifiant éclat qui illuminait les yeux de Link. Au fil de ses pérégrinations dans les recoins les plus sombres de la plaine d'Hyrule, il avait découvert de terribles artefacts qui n'auraient jamais dû être à sa portée. Il devenait peu à peu le monstre qu'il combattait depuis toujours par essence, les pouvoirs qui étaient désormais les siens le rendaient à même de s'attaquer à la citadelle d'Hyrule, et aux peuples principaux de ce monde. Gorons, zoras, hyliens, et tous les autres, chacun connaitrait un sort funeste. Et quand il aurait fini avec cet univers, il s'attaquerait à une dimension parallèle, puis une autre, et une autre encore... Après tout, n'en avait-il pas le pouvoir ?

Seul au milieu de la plaine d'Hyrule, revêtue des couleurs de l'hiver, barbouillé de sang et reflétant tout ce qu'il y avait de plus vil en chacun de nous, à quelques heures à peine de la fête de la paix, du pardon et du partage, Link, le Héros du Temps, s'apprêtait à invoquer des légions démoniaques pour ensevelir le monde sous un voile de ténèbres et d'oubli.

Une comète fendit l'immensité noire du ciel. A quelques pas, les buissons bruissèrent, et un vent purificateur se leva. Des taillis proches sortit une longue silhouette droite et lumineuse. Quand elle s'approcha, Link reconnut... la princesse Zelda. Elle avança vers lui, son regard fixé dans le sien, semblant mettre au défi les ténèbres de son cœur de sortir au grand jour. Link n'essaya même pas de l'empêcher d'approcher. Quand elle le toucha, il réapparut tel qu'il était en réalité, le jeune homme vêtu de vert qui voyage à travers le monde et qui ne reste nulle part. La lumière de la princesse s'amplifia, et Link se renversa en arrière, les yeux révulsés. L'épée Excalibur jaillit de son fourreau, sembla résister puis s'envola pour aller se figer dans un rocher, qui fut recouvert du sceau des Déesses, attendant à nouveau son heure. Tous les objets que Link avaient réuni au fil du temps regagnèrent leur place, pour n'en sortir qu'à l'approche d'un nouveau malheur. Puis la lumière qui englobait la princesse s'estompa peu à eu, et Link sembla s'éveiller d'un profond sommeil. Il tomba à terre, mais Zelda le retint. Heureusement pour tous, les Déesses avaient muni l'arme d'un cran de sécurité, qui protégeait le monde d'un destin funeste. Link regarda la princesse :

« Je suis désolé. J'ai commis un grand mal... Je mérite de disparaître. » Son visage était couvert des larmes du repentir.

La princesse essuya son visage :
« Tant que je serai là, aucun être ne mettra fin à ses jours le soir de Noël. Viens, maintenant, la Citadelle résonne des pas de chacun. Les étals sont dressés, et le sapin domine la Grand-Place. Dans peu de temps, l'on va entonner les cantiques. Tu ne voudrais quand même pas manquer ça ? »

Zelda aida un homme nouveau à se lever. S'enfonçant dans la solitude glacée de la plaine d'Hyrule, deux silhouettes enlacées faisaient route vers le bonheur.
[/spoiler]

22 Janvier 2012 à 20:10 #3 Dernière édition: 22 Janvier 2012 à 20:39 par Supersigo
Pour l'instant je n'ai lu que Minuit pile, et je vais le commenter avant de passer au prochain texte.

Tout d'abord je dois dire que c'est profondément touchant, même si je lis habituellement pas beaucoup d'histoires sentimentales et je ne peux donc pas évaluer son niveau de touchanceté. :ninja:

Ensuite, au niveau du scénario, je n'ai rien à redire, c'est très bien.

Pour la structure du texte, cependant, il y a certaines choses qui me chicotent. Premièrement, au début, tu répètes «sûrement» en début de phrase, ce qui est probablement voulu.
Citation31 décembre. Je suis dans mon canapé. Dehors, il neige terriblement. Sûrement, personne ne viendra. Mais c'est pas grave. J'ai demandé à personne de venir. Je demande jamais à personne de venir.
Je sirote mon whisky, tranquille. Un océan de tranquillité dans un monde de vitesse et de fureur. Mon smartphone est sur la table, éteint. Mon téléphone fixe est débranché, et mon pc est éteint. Sûrement, des gens allaient appeler. Ou envoyer des messages sur Facebook. J'ai des responsabilités. Mais c'est pas important.
Seulement voilà, c'est peut-être pour donner un effet de style, mais je le trouve pas vraiment utile, à moins que tu ne le répéterais un peu plus souvent. Si tu veux garder le mot, je le verrais plutôt comme ça : «Il n'y a sûrement personne qui viendra» et pour le deuxième tu pourrais le remplacer par «certainement» ou «probablement». Peut-être que je me trompe, m'enfin c'est toi qui voit.

Encore une fois pour l'orthographe et la grammaire c'est parfait, bravo. :)

Niveau vocabulaire, petite répétition avec les «éteint» :
CitationMon smartphone est sur la table, éteint. Mon téléphone fixe est débranché, et mon pc est éteint.
Tu pourrais ajouter «éteint également» pour le deuxième, ou bien trouver un synonyme.
Excepté cela, le registre familier va bien avec ton personnage. Je rajouterais que tu pourrais mettre certains adverbes en fin de phrase plutôt qu'en tête de phrase, surtout au début du texte.

Pour la ponctuation, il y a deux choses qui m'embêtent un peu. Premièrement, je crois que PC serait plus beau en majuscule, mais bon tu vois c'est vraiment pas grave. :P En second lieu, j'ai l'impression qu'il manque parfois des virgules, toutefois c'est peut-être dû au niveau du registre.

C'est tout ce que j'ai relevé, mais cela n'a pas gâché mon plaisir à lire ce texte. Je m'attaque maintenant au second texte et je te fais part de mes commentaires dès que je l'ai terminé. ^_^

edit : Je n'ai pu m'empêcher de lire aussitôt le deuxième texte. Pour faire plus bref que précédemment, je dirai que c'est encore bien écrit, et que j'adore ton style d'écriture. Attention cependant, il y a une «erreur» de ponctuation (si on peut appeler ça une erreur) dans ce texte comme l'autre : un A, même au majuscule, prend un accent circonflexe. J'imagine que c'est l'habitude.^^ À moins que ce soit une règle de ponctuation que j'ignore ? Je me trompe parfois, ça arrive à tout le monde, et ça peut bien être le cas ici. :P

Encore en rapport avec la ponctuation, je crois qu'il y a un guillemet de trop ici :
Citation« Je suis désolé. J'ai commis un grand mal... Je mérite de disparaître. » Son visage était couvert des larmes du repentir. »
Je crois aussi que tu pourrais mettre la phrase «Son visage était couvert des larmes du repentir» une ligne plus bas, formant un «paragraphe» à elle seule, puis passer une autre ligne pour le dialogue suivant.

C'est tout pour l'instant. J'ai bien hâte de lire tes prochains textes. :)

22 Janvier 2012 à 21:01 #4 Dernière édition: 22 Janvier 2012 à 21:09 par Antevre
Pour le premier texte:

-le "sûrement" en tête de phrase est volontaire à la base, c'est un genre de tic de langage du personnage. Dans l'absolu c'est pas incorrect mais il est vrai que c'est un peu disgracieux. Je relirai pour décider si je veux laisser comme ça ou non;

-pour éteint, je vais regarder, c'est pas volontaire et c'est vrai que c'est naze;

-pour pc, à vrai dire je ne sais pas si l'un est plus correct que l'autre. En théorie, en français, un acronyme prend des points après chaque lettre et celles-ci sont en majuscules, mais le sigle venant de l'anglais, je ne connais pas le régime à adopter. Word ne me l'a pas compté comme une faute, mais je consulterai un dictionnaire à l'occasion pour clarifier la situation;

-pour les virgules, encore une fois il faut que je prenne le temps de relire, néanmoins il me semble que toutes les virgules obligatoires sont mises. J'avoue ne pas être un grand fan des virgules, car je me bats beaucoup depuis des années contre ma tendance aux phrases kilométriques, et que je favorise souvent un style plus direct et rapide. Du coup je ne m'en tiens qu'à celles qui sont nécessaires, m'enfin je vérifierai^^. De plus, j'ai tendance à écrire comme je parle, du moins dans la construction logique, et il est vrai que l'écrit et l'oral, au niveau du rythme, ne fonctionnent pas toujours pareil, même si c'est ce que l'on nous dit quand on apprend à écrire^^.

Dans le second texte:

- les "à" majuscules n'ont pas d'accent grave ( :P) car je n'ai jamais pu mettre la main sur la méthode pour les mettre en majuscule sur un pc^^ si tu en sais plus que moi, j'apprécierais que tu éclaires ma lanterne  :);

-il y a bien un guillemet en trop, je corrige ça de suite;

-pour le fait de ne pas être allé à la ligne, c'était volontaire, mais c'est peut-être mieux comme tu dis, j'y réfléchirai.

Merci beaucoup pour ta lecture, ainsi que tes conseils et corrections :)

edit: chui con, je dis que je corrige l'histoire des guillemets et je me barre sans y penser, je m'achèterai un cerveau au marché aux puces à l'occasion...

22 Janvier 2012 à 21:10 #5 Dernière édition: 22 Janvier 2012 à 21:14 par Supersigo
Accent grave, c'est ça.x) Pour en faire c'est simple, j'appuie sur la touche de l'accent grave puis je fais un A majuscule. :ninja: Mais bon peut-être que ce ne sont pas tous les claviers qui font ça, et il faut avouer que ce n'est vraiment pas grave.
[spoiler]Sisi c'est extrêmement grave ! :o *sbaf*
[/spoiler]
Dans le second texte tu m'as fait remarqué que Moblin peut aussi s'écrit Molblin, je croyais au début qu'il s'agissait d'une faute. :P
Pour PC ce serait plutôt ordinateur portable, mais bon c'est toi qui l'écris comme tu veux.^^
Bien entendu, c'est toi qui choisis ce que tu changes ou pas, il est certain que tu dois trouver certains de mes commentaires pertinents, et d'autres moins (ou pas du tout >.<). Quoi qu'il en soit, de toute façon c'est amusant écrire des pavés, non ? Tu dois en savoir quelque chose. :lol:
edit : Pour l'histoire des guillements t'en fais pas ça m'arrive aussi à l'occasion. :D Ton cerveau doit être constitué de frites, ce qui expliquerait ça : tu pensais aux frites en oubliant l'histoire des guillemets. (Et si je sortais ? :mrgreen:)

22 Janvier 2012 à 21:30 #6 Dernière édition: 22 Janvier 2012 à 21:38 par Antevre
Merci pour l'accent grave, ça marche au poil :) sur mon pc c'est ALT GR+ la touche pour l'accent grave puis la lettre sur laquelle on veut mettre l'accent^^ sinon après vérification le sigle PC prend bien des majuscules, et pas de points (sinon c'est poste de commandement :ninja:), je corrige donc ça^^ j'ai également découvert que le mot "baxter" n'est pas entré dans les dictionnaires. Il faudrait que je vérifie dans Le Bon Usage, mais je crois que dans un cas comme celui-ci il devrait prendre une majuscule... je regarderai.

Tes commentaires sont toujours intéressants, ils ont toujours au minimum l'intérêt de montrer la façon dont tu perçois l'histoire, ton affect, ça ne peut donc que me faire progresser :)

Ah et je souscris pleinement à ton explication concernant les frites, ça fait trois jours que j'en ai plus mangé... la faim est proche :ninja:

edit: Ai corrigé les fautes susdites, ainsi que la répétition de "éteint", et me suis rendu compte au passage que le découpage des paragraphes était peu agréable dans Minuit pile, j'ai donc ajouté à chaque fois une ligne d'espacement, c'est moins désagréable...

DÉTERRAGE !!! AVEC DES EXPLOSIONS ! IN 3D !!!!

... Hum.

Je disais donc: bonjour à vous, hommes du futur ! Je viens tout droit de 2012, et on peut dire que je m'attendais pas à ce que 2015 soit aussi pourri. Vous avez fait fort. C'était déjà pas terrible, la crise économique, les dictateurs, le capitalisme toussa toussa, mais vous avez réussi à faire pire ! François Hollande, la Syrie encore plus en guerre qu'avant, les attentats, l'islamophobie, l'extrême-droite partout... Chapeau ! Bref, Pour vous ça fait trois ans que ce topic n'est plus alimenté, mais pour moi ça fait moins d'une semaine ! C'est pour ça ! Non, il ne s'agit absolument pas d'une excuse bidon pour justifier ma négligence, que nenni ! Votre défiance me blesse !

Yeah. Let's cut the crap. Donc bon, en fait j'avais envie de relancer un peu la machine. Il se trouve que dans le cadre d'un concours, j'ai écrit une nouvelle que j'ai envie de montrer ici. Le thème était "Clic et Déclic", et il fallait écrire un récit faisant de 2 à 5 pages. J'ai eu plusieurs idées, des plus folles (une obscure histoire remplie d'allitérations sur le thème des langues à clics, super cool mais pratiquement impossible à mener à bien) aux plus insipides (oh mon Dieu que se passera-t-il si j'appuie sur le bouton !? Ouais, manque d'inspiration quand tu nous tiens...), et l'illumination m'est venue en plein cours de sémiotique (oui, je sais, on croirait un vrai conte de fées !). Donc. Je profite d'une crise d'hyperactivité pour me faire la promesse solennelle (qui restera sans doute lettre morte, mais on peut rêver) de me servir de cette occasion comme tremplin qui me remotiverait à enrichir ce topic. Il me reste un tas de trucs dans mes cartons que je n'ai jamais montrés, et plein de projets non terminés qui ne demandent qu'à être concrétisés.

Sans plus attendre, voici la chose:

[spoiler]
Click to live

D'aussi loin que je me souvienne, je ne me suis jamais posé de question sur mon avenir.

Ma vie ne mérite pas d'être racontée. J'ai grandi dans une famille normale, suivi des études normales, trouvé un emploi normal. Un homme comme les autres.

Au quotidien, je suis quelqu'un de plutôt réservé. J'obéis au chef, je reste à ma place, je n'invite pas les filles qui me plaisent à boire un verre en soirée. Et Nadine finit son stage, et Chantal trouve un copain. Moi, incapable de prendre ma vie en main, j'ose le dire, je suis seul. Une feuille d'arbre qui vole au vent, et finira un jour par toucher le sol et sombrer dans l'oubli. J'aurai montré quelques jolies pirouettes, bon gré mal gré, mais au final, je n'aurai juste été qu'un jouet pour les éléments, une marionnette parmi d'autres en des mains espiègles.

Mais moi aussi je veux jouer.

Moi aussi je veux contrôler.

Et sitôt rentré chez moi, je le peux.

Il y a ce jeu, Click to Live. Grisant. Simple mais riche : le joueur contrôle un personnage, dont il gère la vie. Les divers besoins. Le monde professionnel. Les loisirs. La vie affective. Pour peu que le joueur veuille bien relever le défi, tout est à portée de main.

Je ne sais plus quand. Je ne sais plus pourquoi. J'avais besoin d'une bouée, et elle s'est matérialisée, si l'on peut dire, miraculeusement, sous la forme d'un lien sur internet. Et l'engrenage était lancé. Je suis devenu un joueur.

La première fois, j'étais Michel, petit employé lambda d'une grande firme multinationale. Je suppose que tout le monde commence par copier la réalité, avant de s'enhardir et d'essayer les nombreuses possibilités offertes. La grande force de ce jeu, à l'opposé des concurrents dans sa catégorie, est de proposer un monde persistant, qui évolue avec ou sans la présence des joueurs. Un moteur de recherche permet de naviguer entre les habitants de cet univers et de sélectionner celui dont on veut prendre le contrôle. Quand je suis tombé sur Michel, fasciné par les similitudes qu'il entretenait avec moi, je n'ai pu m'empêcher de le choisir. Peut-être arriverais-je à donner à sa vie un tournant inattendu, me suis-je dit.
Ce fut un désastre. Voulant explorer toutes les possibilités, j'ai versé dans les excès. Déconcerté par l'incroyable facilité d'agir au nom d'un autre, j'ai entretenu trois liaisons à la fois, mené une carrière agressive, et tout s'est terminé dans le fracas quand l'une des amantes de Michel, collègue de bureau, a décidé de mettre fin à leur relation en défenestrant le malheureux, trop imbibé d'alcool pour réaliser ce qui lui arrivait.

Furieux, j'ai pris la place de Vanessa, ladite meurtrière, dans l'idée de lui pourrir la vie. J'ai tout juste eu le temps de me familiariser avec les différentes facettes de sa vie qu'elle s'ouvrait les veines. Je suppose qu'elle avait très mal vécu sa relation avec Michel, et que découvrir la vraie personnalité de l'homme qu'elle a aimé l'a réellement bouleversée.
Je l'avoue, ces événements m'ont affecté plus que je ne l'aurais pensé. Ces personnages avaient beau être fictifs, je me sentais responsable du gâchis. Ce n'est pas par hasard si la plupart des gens réfléchissent à deux fois avant d'agir dans le monde réel.

Malgré les apparences, Click to Live s'avérait réaliste et immersif. Bien sûr, l'intelligence artificielle des personnages était simpliste, mais néanmoins cohérente et crédible. Je l'avais appris aux dépens de Michel et de Vanessa... et sans doute d'autres personnes.

Néanmoins, je voulais continuer. Le démon du jeu s'était emparé de moi. La perspective de concrétiser mes rêves les plus fous, de manipuler le destin m'excitait. Tirer les ficelles au lieu d'être le jouet d'un autre.
Le loisir est devenu une passion, la passion une obsession. J'étais François, Kenneth, Maria, Ruth, au gré de mes envies. Je devenais bâtisseur de fortunes, découvreur de talents, génie, célébrité, ou juste un pauvre hère victime des accidents les plus improbables...et les plus drôles. La morale n'existe pas dans le virtuel. Tuer n'est qu'un jeu parmi d'autres, d'autant plus lorsqu'on peut littéralement se noyer dans une flaque d'eau par pur caprice pour se réincarner l'instant d'après en quelqu'un de plus jeune et plus fringant. J'ai transformé un gang portoricain en vendeurs de glaces et nommé un enfant président des États-Unis. J'ai réconcilié Palestine et Israël que j'ai ensuite noyés sous un tapis de bombes à hydrogène sealandaises. J'ai entretenu les relations les plus honteuses et les plus inavouables avec qui m'en prenait le caprice. J'étais un dieu au milieu des fourmis.

Puis je me suis calmé. Mais pas mon désir de jouer. Je me suis pris de sympathie pour Henri, un ancien collègue de Michel. Je lui ai fait consoler Clarisse, la sœur de Vanessa, et tous deux ont commencé à se voir régulièrement.
Je me suis mis à négliger le monde réel. Tous les jours, je me précipite chez moi pour constater les progrès des tourtereaux. Tourner la page, fonder une famille, être heureux. Tout ce qui m'est inaccessible en vrai. Mais je mentirais si je prétendais que mon seul plaisir est de voir mes personnages épanouis.

En vérité, c'est l'emprise que j'ai sur eux qui me plait le plus. S'il m'en prenait l'envie, je pourrais tout stopper du jour au lendemain. Couper les fils de la marionnette, détruire le château de cartes d'un revers négligent de la main. Mais je continue. Et cette tension entre potentialité et discipline de jeu (ou plutôt, de vie) me passionne. Les automates dansent pour moi, et moi je les entretiens avec amour. Juste parce que je le peux.

Récemment, Henri s'est acheté un nouvel ordinateur. J'étais content de l'investissement, qui améliorerait sans nul doute le bonheur du foyer (Clarisse a emménagé chez lui la semaine passée), et je prends soin de laisser du temps à mon protégé pour qu'il puisse décompresser. Le boulot n'est pas tendre avec lui pour l'instant : briguant une promotion, il s'est mis à accumuler les heures supplémentaires, et les collègues jasent. Les regards jaloux s'accumulent, les chuchotements se font de plus en plus oppressants, et son supérieur direct s'efforce de tuer ses espoirs dans l'œuf. Peine perdue. Henri réussira, j'y suis décidé. Il est intelligent et volontaire. Ce n'est pas parce qu'il vit une mauvaise passe qu'il se laissera abattre. Je le veux.

Aujourd'hui, Henri semble particulièrement épanoui. Il a découvert hier soir un jeu vidéo qui semble le passionner. Moi, par contre, je ne suis pas dans mon assiette. J'ai été nerveux toute la journée, et j'ai plusieurs fois perdu le contrôle de mes émotions, criant sur mon chef, ce qui ne m'arrive jamais. J'espère que cela ne prêtera pas à conséquence. Plus curieux encore, pris d'une inspiration subite, j'ai invité une collègue à boire un verre dans les jours qui viennent. Et elle a dit oui ! Je ne sais que penser. Mais l'occasion ne se reproduira sans doute jamais.

Peu importe. Ce soir, mon temps est tout à Henri.

Sitôt arrivé chez moi, je lui rends visite. Sans surprise, il pianote sur son ordinateur. Je le regarde avec amour. S'il en est là, après tout, c'est grâce à moi. Je ressens une fierté toute paternelle à contempler le fruit de mes efforts.

Je me sers un yaourt à la fraise, et lapant à même le pot, je pense à son avenir et ses conquêtes. Tu seras un grand homme, mon fils. Digne de mes attentes. Mon téléphone entre les mains, je téléphone à Kim Jong-Un, bien plus sympathique que je l'imaginais. Il m'invite à un barbecue, et j'accepte avec plaisir avant de raccrocher mon téléphone et de me replonger dans la vie d'Henri.

Je le vois presser un bouton, et moi je cesse de bouger. Immobile. Ce n'est pas mon genre. Et là, je sens que quelque chose ne va pas. Mon attitude n'a aucun sens. Pas plus que celle du surfeur hawaïen croisé dans la rue qui m'a offert le chat que je suis en train de caresser.

Non.

Chaque fois qu'Henri presse un bouton, quelque chose se produit.

Impossible.

En face de moi, la marionnette réprime un bâillement et porte le mug Terminator que je lui ai acheté à ses lèvres. Je suis pétrifié. Incapable de faire le moindre geste. Je me sens mal. Si je le pouvais, je vomirais dans l'instant. C'est...

Non.

Je suis le jouet ?

Absurde. Mais indéniable. L'idée me glace le sang, et très vite me vient une idée désagréable. Que se passera-t-il lorsqu'il sera lassé de jouer ? Quel sera mon sort au moment où il éteindra son ordinateur ?

C'est alors que se produit un événement dont je me souviendrai toute ma vie. Il me regarde. Dans les yeux. Que suis-je à ses yeux ? Un homme ? Un objet ? L'expérience est saisissante. Je me sens pris d'une grande humilité et d'une certaine honte. Si c'est moi le programme informatique, suis-je seulement capable d'appréhender la personne qui me fait face ? Ses yeux rivés dans les miens, il esquisse un sourire. Il s'adresse alors directement à moi : « Tout ira bien, ne t'en fais pas. Tu me plais. Je t'ai choisi. Tu auras une belle vie, je m'en assurerai. Mais ça ne peut plus durer. Ça fait plusieurs jours que tu m'inquiètes. Tu négliges le travail et ta santé pour jouer sur ton ordinateur. Ça ne va pas. Tu n'iras nulle part comme ça. Il est temps pour toi de décrocher ». Il a une belle voix, à peine déformée par les baffles. Je l'avais oublié. Prenant un air désolé, Il se saisit de sa souris et clique.

Je suis pris d'une irrépressible pulsion. Je dois arrêter, j'en ai assez fait pour aujourd'hui. Comme si c'était ce que j'avais toujours voulu faire, je pose le doigt sur un bouton. Avec un dernier regard à l'égard de l'homme d'ailleurs, j'éteins mon ordinateur.

Je suis alors pris d'un terrible vertige, et les pensées les plus folles se bousculent dans ma tête. Étais-je contrôlé tout ce temps ? Ne suis-je qu'une intelligence artificielle dans un jeu vidéo ? Folie ! Ce n'est pas possible. Non. Certainement pas. Je m'interroge, et m'interroge encore, toujours tétanisé. Mais une question reste en suspens. La pire de toutes.

Que suis-je censé faire maintenant ?
[/spoiler]

Avis, commentaires, tomates ? À titre personnel, et ça n'engage que moi, je suis assez content de ce que j'ai fait. J'aime le ton général, les références plus ou moins subtiles, les effets et figures, bref, un texte qui me plait, et qui me ressemble, je crois. Après, nul doute que des gens bien plus doués que moi seront de la partie, je ne me fais pas d'illusion, mais si les jurés passent un bon moment je serai déjà largement comblé.

Voilà, à bientôt (j'espère, croisons les doigts pour que ma motivation reste constante) pour d'autres histoires moisies de Papy Antevre !

Je ne peux m'empêcher de mettre un lien vers ceci. :D

Perso j'ai bien aimé. :) Et je suis d'accord avec toi quand tu dis que ça te ressemble, je reconnais tout à fait tout style : phrases courtes, un peu absurde, etc. Je t'encourage à continuer à poster des textes, c'est toujours un plaisir de te lire.

Merci pour ton commentaire, ça fait toujours plaisir !  :) Désolé d'avoir mis si longtemps à répondre d'ailleurs, Pâques a été agitée et je ne voulais pas poster sans avoir quelque chose d'intéressant à ajouter.

Et merci pour ce lien, au fait, j'avais réussi à décrocher, à cause de toi j'ai replongé :cry3:.

Donc, alors, la proclamation des résultats pour le concours a eu lieu hier, et sans surprise, je n'ai pas été repris parmi les lauréats. Beaucoup de candidats, et des bons apparemment. Mon seul regret vis-à-vis de l'organisation du concours est qu'ils ont mis en place une présélection, ce qui n'était pas annoncé, afin d'éliminer des récits pour simplifier la tâche du jury. Présélection opérée par des étudiants organisateurs (oui, c'est un concours au sein de l'unif, d'un kot dédié à l'écriture), ce que je trouve discutable. Mais bon, à part ça, rien de surprenant. Même si les concours sont quand même mieux organisés sur Solarus, m'enfin :ninja:.

J'agrémente ce post d'une histoire que j'ai écrite il y a déjà quelques années, pour laquelle j'éprouve une affection particulière. Je ne l'ai pas remaniée, même s'il reste des imperfections (je pense le faire un jour, mais pas maintenant), aussi elle peut jurer légèrement avec mon style actuel, mais c'est pas grave. Je crois utile aussi de préciser que c'est de l'inédit, il ne me semble pas avoir montré ça ailleurs pour le moment. Bon par contre c'est un peu bizarre, je préviens tout de suite :ninja:. J'étais dans une grosse période nonsense, mais l'inspiration majeure vient d'ailleurs, sans que je sache vraiment d'où, déjà à l'époque c'était diffus... Bref. Enjoy !

[spoiler]C'était ce qu'on faisait de mieux en matière de salade. Ergonomique, rationnelle, dans un plat. Une salade, quoi.

Or donc, la salade dont je vous raconte l'histoire se trouvait fort aise sur une petite table en pin recouverte d'une nappe aux motifs floraux. Ambiance printanière. Elle trônait fièrement au milieu d'autres petits plats, et semblait très satisfaite d'elle-même, bouffie d'un profond orgueil. C'était en effet un plat très suffisant, et si elle avait pu parler, ç'eût sûrement été d'elle-même. Mais, bien sûr, notre salade, toujours aussi rationnelle, ne pouvait pas parler. Alors, en désespoir de cause, elle poussait. Ca ne veut pas dire grand-chose sans doute, mais il est indéniable qu'elle devait pousser d'une façon ou d'une autre. C'est certain.

Néanmoins, notre salade, malgré tous ses efforts d'égocentrisme et une intense mobilisation de ses forces pour se concentrer sur elle-même, ne pouvait pas faire abstraction des deux autres occupants de la pièce. Un homme et une femme, qui n'entraient pas vraiment dans les canons de beauté des salades (quoique la femelle fût joliment garnie), mais devaient sans doute être agréables à regarder, d'une certaine façon. Sauf au moment précis où se déroule notre histoire, car ils se disputaient. Enfin, pas vraiment, en fait c'était surtout la femme qui hurlait sur son mari, prostré et les larmes aux yeux. Sa compagne le tournait en ridicule de toutes les façons possibles et imaginables, et ce avec une joie mauvaise tandis qu'il n'arrêtait pas d'essayer (vainement) de parler (ces hommes !). Elle lui jetait à la figure qu'elle avait une aventure depuis des mois juste sous son nez et que ce gros nigaud ne s'était aperçu de rien. Elle disait également qu'elle ne voulait plus vivre avec lui, qu'il était un minable et qu'il resterait un minable jusqu'à la fin de sa vie, que ses bagages étaient prêts et qu'elle partait dans l'heure. Finis, les faux-semblants, les dissimulations, la façade de vie de couple devant les amis. Elle allait refaire sa vie avec le fils du boulanger, beau comme un dieu, monté comme un cheval,... et bête comme ses pieds.

Notre amie la salade avait du mal à saisir l'ampleur du drame qui se déroulait devant ses... feuilles ? Aussi ne jugea-t-elle pas utile de s'immiscer dans la conversation d'une façon ou d'une autre. Elle attendait avec confiance son heure, le moment où tous les regards se tourneraient vers elle et où les mâchoires s'activeraient en rythme pour la transformer en matière digestible. Le point d'orgue de toute une existence... Si elle le pouvait, elle en saliverait sûrement d'avance. Mais, comme la plupart des salades, elle en était hélas incapable.

Parlons un peu de sa personnalité, à la salade : sans doute aurait-elle pu devenir une dictatrice si elle n'avait pas été un légume. Car comme tout le monde le sait, la caractéristique première des dictateurs est une frustration profonde et intrinsèque de ne pas être une salade. Cela tombe sous le sens. Heureusement pour nous, notre dictatrice potentielle était exactement ce qu'elle voulait être, et ne ressentait donc pas le besoin de faire du mal à son prochain. De plus, comme on l'a déjà dit, ce n'était pas la première salade venue. Il s'agissait d'un chef-d'œuvre culinaire, dû au génial cuisinier qu'était l'homme qui tentait en vain de retenir ses larmes ce jour-là à quelques pas de la table. Le célèbre Umberto Rogier, contrairement à sa création, ne semblait pas dans son assiette. Cette salade, sommet de son art et raffinement ultime d'une vie basée sur l'amour de la bonne chère, était censée épouser la noble mission de restaurer son mariage qui battait manifestement de l'aile.

Mais sa femme, la terrible Cassandra, n'avait même pas daigné jeter un œil sur le plat le plus noble qui eut jamais foulé le sol de notre planète (façon de parler, bien sûr, les salades n'ont pas de jambes). Ce qui ne manquait pas d'irriter profondément l'occupante de la table, qui voyait là remise en cause son hégémonie. A vrai dire, elle n'avait jamais compris pourquoi durant sa longue existence de salade (presque deux heures !) son géniteur (osons les mots) s'encombrait de la harpie qui lui tenait lieu d'épouse. C'est que la salade n'avait pas encore connu l'amour, ou tout au plus celui qu'on doit à la personne qui vous met au monde. Elle ne pouvait pas comprendre que la première fois qu'Umberto avait posé son regard sur Cassandra, le sens de sa vie avait changé, et qu'il s'était juré que plus jamais il ne quitterait cette femme, pour l'aimer et la protéger. Il n'avait pas encore capté que c'était surtout lui qui avait besoin de l'être, et que sa bien-aimée avait dit oui plus par pitié que par amour.

La femme lança encore quelques phrases assassines, rassembla ses valises et quitta la maison. Un grand silence tomba sur la cuisine, tandis que le cuisinier tentait de reprendre ses esprits. Mais son esprit profondément romantique refusait d'en rester là, aussi décida-t-il de couper court et de rentrer dans le vif du sujet. Stoïque, il se rendit dans un magasin de bricolage.

Et pendant ce temps, la salade conservait son air sobre et distingué (exercice difficile pour une laitue) au cas où un tiers passait par là, regardait par la fenêtre et décidait de contempler le plat qui siégeait sur la table. Elle n'était pas sûre de comprendre tous les tenants et aboutissants de la scène qui venait de se dérouler devant elle, mais elle était convaincue que si elle donnait le meilleur d'elle-même, on s'occuperait bientôt de son cas. Elle bouillait d'impatience et se sentait plutôt vexée d'avoir été laissée en plan aussi longtemps, car elle était consciente de sa valeur.

Lorsque son père revint, c'était avec un escabeau et une corde qu'il déposa dans un coin. Il se saisit d'une feuille de papier et d'un stylo, et s'assit face à la salade, qui retint son souffle. Le moment était-il enfin arrivé ? Quels étaient ces ustensiles étranges ? Allait-elle bénéficier, du fait de son statut, d'un traitement particulier ? Quand le cuisinier brandit le stylo, elle frémit doucement, prête à accomplir son destin. Aussi, quand il s'en servit sur la feuille de papier et non sur les siennes, elle en conçut une terrible jalousie. Quel était cet aliment qui se permettait de venir sur sa table monopoliser son créateur... prendre sa place ? Elle bouillait littéralement de rage. Avec une joie mauvaise, elle regarda son créateur s'énerver sur la feuille, la chiffonner et la jeter négligemment. Le voir en reprendre une nouvelle fut un comble pour la salade, mais quand Umberto recommença son manège deux fois, trois fois, elle comprit que ses rivales ne faisaient pas le poids. Elle fut quand même irritée et inquiète lorsqu'il en choisit finalement une (la salade ne voyait pas ce qu'elle avait de plus que les autres) et la cuisina longuement. Elle ne se calma que lorsque, après presque une heure de supplice, Umberto cessa de rédiger et déposa feuille et stylo dans un coin. Après quoi, il prit l'escabelle, la plaça au milieu de la salle et entreprit d'accrocher la corde au plafond. Cela dura un certain temps, car il n'était pas sûr de la marche à suivre. La salade était très étonnée : quelle était cette nouvelle manigance ? Elle commençait à perdre confiance en son créateur, qui ne cessait de la décevoir.

Il y eut un craquement, et son père parvint d'un coup à tenir en l'air sans l'escabelle.

Plusieurs heures passèrent. La salade observait son géniteur, attendant qu'il produise encore quelque tour à son attention. Mais à part quelques balancements, il ne fit plus rien. La salade s'impatientait. Allait-on encore différer longtemps sa consécration ? Pourquoi cela prenait-il si longtemps ? Cela ne semblait pas fort sérieux de la part d'un si grand cuisinier.
Terriblement vexée, la salade décida que ça commençait à bien faire, alors elle déploya ses réacteurs et s'envola par la fenêtre. A-t-on idée de traiter une salade ainsi...

La porte s'ouvrit brusquement, et Cassandra parut. Elle appela Umberto, cria qu'elle avait changé d'avis, qu'elle l'aimait, merde ! Mais il ne répondit pas. Il ne le pouvait pas.

Sa salade était partie.
[/spoiler] :mrgreen:

Bon, sinon j'ai peu de temps pour écrire (le blocus approche à grands pas et je suis à la bourre), mais j'ai l'envie et des idées. Je vais essayer de pondre au moins un nouveau truc ici d'ici la fin de l'année, et en attendant je fais le fond de mes tiroirs^^.

11 Mai 2015 à 13:24 #10 Dernière édition: 11 Mai 2015 à 13:26 par Antevre
Aujourd'hui, j'ajoute un texte très court écrit pour répondre à un défi lancé avec des amis de type "roll a story": 6 personnages, 6 lieux, 6 actions, pour chacun de ces trois critères, lancer un dé et écrire sur base du résultat. J'ai eu "Une tomate verte dans une forêt magique cherche des vêtements". Le résultat est... improbable.

[spoiler]L'histoire que je vais vous raconter m'a été rapportée par un jeune pirate du nom de Brucifer le Pleutre, qui la tient lui-même de Rastagnetta la barmaid, qui l'aurait entendue de Popol le blaireau (ou était-ce le héros ?), lui-même en ayant eu vent par Robinet le Caddie (la postérité n'a pas retenu s'il s'agissait d'un caddie de supermarché ou d'un caddie de golf, une personne saine d'esprit pencherait naturellement pour la seconde proposition mais le contenu de l'histoire étant ce qu'il est, on est en droit d'hésiter...). Je sais ce que vous allez me dire, mais par pitié, ne m'interrompez pas. Oui, c'est déjà le bordel avant même d'avoir commencé, je sais, mais essayez de vous laisser faire, d'accord ? Je me suis pas cassé la tête à retenir ce fatras incompréhensible pour rien, moi, vous pigez ? Bon.

Donc. Oui. Sachez que les différents intermédiaires ont tous juré solennellement la tenir de personnes de confiance, aussi sa véracité ne doit pas être mise en doute. Et d'ailleurs c'est moi qui raconte, alors si vous voulez pas y mettre du vôtre vous pouvez aussi bien vous casser maintenant. J'ai pas que ça à foutre moi, à distraire des tocards qui m'écoutent même pas.

Oh, vous avez l'air impatients. Je vous dérange, peut-être ? J'ai un drôle de truc sur le visage ? C'est mon nez, connard. Et le tien est pas mieux. Si j'ai envie de prendre mon temps, je le prends, point à la ligne. Rien à foutre que ta femme t'attend, que ton chien a le cancer ou que ta maitresse t'a promis une partie de jambes en l'air mémorable. Je vous l'ai dit, vous pouvez vous casser si vous avez autre chose à faire, c'est pas mon problème. J'ai été payé, je fais mon job, le reste, rien à branler.

Quoi ? Je fais chier ? Dis-moi, t'as du mal avec le français peut-être ? Ton cerveau arriéré ne suit pas ? J'ai dit qu'on ne m'interrompait pas ! Allez, tu te barres. Non. J'ai dit tu te barres, bordel ! Je veux pas de toi ! Va te toucher la nouille, jouer au craps, ce que tu veux mais ailleurs, t'es moche et tu pues. SÉCURITÉ !!!

Non mais vos gueules. J'AI DIT VOS GUEULES ! Toi tu me réponds pas, putain. Ah, tu veux des histoires ? Tu veux que je fasse mon boulot ? Très bien. Non, t'as raison, c'est vrai. Quoi ? Que je me rassoie et que je parle plus doucement ? Et tu veux pas un café aussi avec ça ducon ? Je te l'ai dit, ici c'est moi qui cause, toi ton rôle c'est de fermer le cloaque nauséabond qui te sert de gueule et d'ouvrir les putains d'orifice qui te servent de pavillons. On est d'accord ?

Non ? Putain, mais tu veux vraiment des problèmes toi ! TU VEUX MON POING DANS LA GUEULE C'EST CA ? Je vais te faire avaler tes dents et les faire ressortir par ton urètre, pauvre tache.

Bon. Bon. Booooooooon. Ok, ça va j'ai compris, vous êtes tous contre moi, je vais vous la raconter votre putain d'histoire , les déchets. Vous êtes  prêts ? Vous avez intérêt à la fermer et à écouter.

C'est l'histoire d'une putain de tomate verte qui se promenait dans une putain de forêt magique, et elle cherchait des putains de vêtements. Parce que comme vous, bande de putain de tocards, elle savait pas se saper, et tout le putain de village se foutait de sa gueule.

CA Y EST, VOUS ÊTES CONTENTS LES TOCARDS ? VOUS ÊTES CALMÉS ? C'EST CA VENEZ-Y, ON VA RÈGLER CAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!!!!!
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Le texte n'est pas parfait, mais l'idée étant d'écrire en impro, assez vite, je ne compte pas repasser dessus.